Guy Mamou-Mani : « la révolution numérique est une véritable opportunité de s’engager dans une croissance responsable »

M. Guy Mamou-Mani débute sa carrière chez CSC-GO International où il fut notamment Président-Directeur Général et directeur du pôle solutions de CSC France. En 1995, il crée la filiale française de Manugistics, leader dans le domaine du Supply Chain Management en Europe. Co-président du Groupe OPEN depuis 2008

La crise du Covid remet-elle en cause les business modèles ?


La crise sanitaire a servi de catalyseur à  la transformation numérique comme je me suis efforcé de le montrer dans une récente tribune  publiée  dans vudailleurs https://vudailleurs.com/la-crise-un-catalyseur-de-la-transformation-numeriqueguy-mamou-mani/ .  Cette crise a servi en quelque sorte de « crash test ».  Elle a permis de démontrer en vraie grandeur que le numérique n’était pas simplement une mode parmi d’autres mais LA solution aux grands défis auxquels notre génération est confrontée.  

Assurer la survie des entreprises n’est pas le moindre de ces défis. Fragilisées par des fermetures administratives à répétition entraînant des pertes d’exploitation que personne n’avait pu anticiper, les entreprises doivent largement leur survie au numérique qui leur a permis, en empruntant d’autres canaux de distribution, de poursuivre autrement leur activité. Les solutions de type « click and collect » sont emblématiques de ce point de vue et contribuent grandement, en raison de même de l’importance des changements qu’ils induisent, à faire évoluer les esprits de tous ceux qui pensaient pouvoir se satisfaire d’un statu quo confortable.

Le temps, les distances, l’emploi sous toutes ses formes, la propriété, tout cela était régi par des règles rigides que les événements que nous traversons viennent bouleverser. Les grands codes sont chamboulés : celui du travail par exemple n’est plus en phase avec les évolutions de la société, notamment la généralisation du télétravail ; le code sanitaire l’est encore moins avec les nouvelles attentes du citoyen – usager – patient. Quant au consommateur, il est arrivé au bout d’une évolution qui s’est faite lentement mais sûrement. Il se satisfait désormais davantage de l’usage d’un bien ou d’un service que de sa possession, ce qui n’est pas sans conséquence pour les entreprises qui doivent répondre à ce qui représente pour elles un véritable changement de paradigme et les oblige à faire évoluer leur business model sous peine de péricliter. Désormais, un constructeur automobile ne vend plus des voitures mais de nouvelles formes de mobilité et, dans l’immobilier, ce qui prime plus que tout c’est la valeur d’usage, les commodités, bien davantage que la propriété d’un bien.


Comment les entreprises peuvent-elles apporter des solutions ?


L’humanité est confrontée à des défis majeurs, celui du réchauffement climatique, la faim dans le monde, la surpopulation des grandes métropoles, un chômage endémique. Face à tous ces défis, les entreprises ont plus que jamais un rôle à jouer. On attend des entreprises qu’elles aident à les relever en travaillant à réinventer la société. Je suis de ceux qui pensent que les startups innovantes comme les grands groupes, à condition qu’ils se transforment et intègrent chacun pour leur compte les nouvelles règles du numérique, sont eux-mêmes de puissants vecteurs de transformation à même d’apporter les réponses que tout le monde attend. Smartcity, Edtech, Healthtech, autant de solutions technologiques qui permettent d’améliorer notre qualité de vie tout en respectant l’environnement et notre volonté de nous inscrire dans une dynamique de croissance responsable. Encore faut- il donner à chacun les moyens d’y contribuer. Acculturation, Education, Formation, Inclusion, voilà selon moi quels doivent être les mots-clés de la société de demain. C’est en les faisant nôtres dès à présent que nous construirons un avenir solidaire..


Comment le digital aide-t-il à gérer l’incertitude ?


« L’avenir n’est pas ce qui va arriver mais ce que nous allons en faire » cette citation d’Henri Bergson exprime bien la difficulté que représente pour un être humain le fait d’avoir à décider dans un contexte d’incertitude. Le meilleur moyen de gérer l’incertitude c’est encore d’agir, de s’engager dans la construction de l’avenir qui est, par définition, inconnu. Le numérique, de ce point de vue, joue un peu le rôle que jouaient les oracles dans l’Antiquité qui étaient le canal par lequel les dieux parlaient aux hommes qui ont toujours été désireux de connaître le futur pour prendre la bonne décision. L’oracle leur permettait de connaître l’inconnu.

Nos contemporains, avec la croissance infinie du nombre des données exploitables, pensent pouvoir disposer, avec le Deep Learning par exemple, de leur propre version de l’oracle de Delphes. Doit-on pour autant renoncer à faire usage des ressources de notre intelligence et tout attendre de l’IA, pour décider par exemple d’une stratégie thérapeutique ? Il y a là matière à débat entre médecins, les « cliniciens » vouant aux gémonies les « spécialistes d’organes » trop confiants dans les dispositifs d’exploration fonctionnelle et les vertus diagnostiques de l’intelligence artificielle. Comme en tout, il faut raison garder. Tout ce qui nous permettra d’avoir une utilisation responsable et consciente du numérique nous aidera à diminuer cette peur de l’inconnu qui nous taraude et sur laquelle surfent tant d’oiseaux de mauvais augure. Le digital représente un progrès pour l’humanité mais ce n’est pas la panacée universelle.

 Même si la balance bénéfice-risque penche plutôt du côté du numérique et de ceux qui s’en font les champions, il faut malgré tout rester conscient des risques inhérents au déploiement du numérique. Il serait imprudent de s’en remettre totalement aux machines, fussent-elle automatisées, au motif qu’elles rendent les hommes et les organisations plus performants.  En perdant le contrôle sur sa « création », l’homme ne se grandit pas. Je préfèrerais pour ma part continuer à faire confiance à l’homme, cet « animal raisonnable » capable aussi bien de faire l’éloge de l’erreur que de s’incliner devant le mystère de l’inattendu.

Le numérique peut-il sauver la croissance ?

Se transformer par le numérique en digitalisant par exemple ses process c’est, pour une entreprise, quel que soit son secteur d’activité, la plus belle occasion qui lui soit donnée de renouer avec la compétitivité et de repositionner son portefeuille d’offres tout en lui permettant de réduire ses coûts.

C’est aussi, et ce n’est pas suffisamment reconnu, un des rares moyens de sortir de la léthargie dans laquelle la crise a plongé les entreprises et de trouver de nouvelles voies de croissance. La crise sanitaire a en outre permis de démontrer tout le potentiel que recèle le numérique.  Le Covid-19 s’est révélé un formidable accélérateur de la transformation du monde la santé et l’éducation grâce à la mise en place de programmes de télé-enseignement (cours délivrés en ligne ou déposés sur une plate-forme) ou à l’existence de dispositifs permettant de télésurveiller des patients diabétiques ou insuffisants cardiaques.

Même si rien ne remplace le « présentiel », les étudiants ont pu continuer à travailler et les patients être soignés. Et cela, de manière généralement satisfaisante.  La question qui se pose et à laquelle il faut réfléchir sérieusement c’est plutôt celle du type de croissance qu’il nous faut rechercher dès l’instant que l’on s’est décidé à intégrer le numérique dans la stratégie de l’entreprise.  J’ai pour ma part la conviction que la révolution numérique à laquelle nous assistons représente une véritable opportunité de s’engager en faveur d’une croissance responsable, créatrice de valeur partagée sur le plan environnemental, et inclusive à condition que nous ne la subissions pas.

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