Corinne Versini : « Le marché domestique, cela doit être l’Europe. »
Corinne Versini est la fondatrice et directrice générale de Gens’Ink, société fabricant de matières premières pour l’électronique
Le numérique est le grand gagnant de la pandémie, tout le monde s’est mis au digital or il y avait déjà une désaffection vis à vis de l’industrie, cela va empirer ?
C’est plutôt l’inverse. La Covid a montré que la Supply Chain mise en place dans les années 70, 90 avec une implantation poussée en Asie n’est plus à l’ordre du jour. Comment rapatrier un principe actif de l’autre bout du monde quand les frontières sont fermées ? On s’est rendu compte que cela ne marchait pas.
Il est désormais possible d’avoir des unités industrielles autonomes, dirigées de n’importe où grâce au numérique, avec moins de personnel, plus flexibles, plus intégrées. Par exemple, dans la chimie, il y a des recettes. Il y a un risque de fuite quand vous donnez une recette à quelqu’un. Mais si je mets dans un appareil une recette et je donne à quelqu’un l’ordre de manipuler un produit qui est anonymisé, personne ne sait et le manipulateur non plus ce que contient le bidon donc la sécurité de mon process est accrû. Je peux donc mettre la recette à n’importe quel endroit du monde, c’est le mandataire qui continue de préserver ses secrets de fabrication, il faut faire une mondialisation intelligente avec les moyens modernes dont nous disposons aujourd’hui.
Ainsi l’industrie peut exploiter les technologies numériques, il n’y a pas à choisir entre l’industrie et le numérique, l’industrie a évolué aussi. Dans l’industrie, il y a toujours un risque mais plus l’unité est petite, plus on peut le gérer donc on gagne à positionner des sites au bon endroit dans le monde avec des process de contrôle éprouvés.
Qu’entend-on par rapatrier la production en France pour préserver la souveraineté industrielle ?
Le message de rapatrier les actifs industriels souverains n’est pas très bien entendu. Les banques ne comprennent pas vraiment l’industrie, ne sont pas prêtes à financer l’industrie. Les banques sont jugées sur un trimestre, l’industrie sur des années donc elles ne sont pas dans le même rapport de temps, il faut mettre en place des financements adéquats. Relocaliser une industrie plus près de son marché, cela a du sens mais cela ne veut pas dire remettre toute la production en France. D’abord car les Français n’ont peut-être pas envie de rapatrier les risques de pollution en France et d’augmenter l’empreinte carbone mais il est logique de rapatrier les actifs importants. Je ne parle pas du paracétamol car ce n’est pas avec cela que l’on va soigner les maladies de demain
Il faut relocaliser des activités qui ont de la valeur ajoutée et qui pèsent sur l’industrie de demain. Le paracétamol a un siècle, il n’y a plus de brevet dessus. En revanche, relocaliser un vaccin ou un antibiotique ou un antiviral, là, cela a du sens, du principe actif jusqu’à la fin, c’est logique, surtout si on a des unités de production à taille humaine.
Dans l’industrie pharmaceutique, la recherche en amont coûte cher mais pas la production après, qui est moins intensive en capital.
La chimie, de base, l’électronique de base n’ont pas besoin d’être rapatriées, elles fonctionnent sur de grands volumes. Mais il est important de se rapprocher des clients finaux. Notre échelle, c’est l’Europe. Le marché domestique, cela doit être l’Europe. Si le Brexit a montré que l’on n’est pas d’accord sur certains sujets, tant pis, les autres zones ont pu s’en moquer mais l’Europe, c’est la seule échelle qui nous permet de rivaliser avec l’Amérique et la Chine. Il va falloir que l’on s’entende.
On ne nous a pas expliqué l’Europe, ni à ma génération, ni aux générations aujourd’hui. On nous a dit qu’on a fait l’Europe au début pour éviter la guerre puis que l’on faisait une Europe économique mais il faut faire une Europe politique, porteuse de sens. On doit faire une Europe utile, cela doit apporter quelque chose de plus à notre vie.