Les investisseurs particuliers méritent un ecolabel européens ambitieux Mais ils risquent de ne pas l’avoir Par Philippe Zaouati
Les éléments mentionnées reflètent l’opinion de Mirova et la situation à la date du présent document
et sont susceptibles d’évoluer sans préavis
A mesure que l’urgence environnementale et sociale se fait plus prégnante, les citoyens européens
expriment de plus en plus leur volonté de placer leur épargne dans des produits d’investissement
durables. A minima, ils attendent que leurs investissements ne soient pas dommageables pour la
planète et la société. Souvent, ils souhaitent aller au-delà, avec des investissements qui contribuent
à accélérer la transition vers une économie verte. Dans le cadre du plan d’action finance durable
lancé en 2018, la volonté de la Commission européenne de développer un ecolabel pour les produits
financiers d’épargne et d’investissement part de ce constat. L’écolabel constitue pour les
consommateurs-citoyens un repère : il marque les produits de consommation (papier, produit
vaisselle…) les plus respectueux de l’environnement. Ce qui se traduit pour les produits financiers
par la recherche d’un impact écologique positif. L’extension de cette démarche aux produits
d’épargne et d’investissement est aujourd’hui en passe d’aboutir. Mais le résultat escompté ne sera
pas au rendez-vous
Mirova est un acteur de référence de l’investissement durable qui a depuis sa création poussé pour
l’adoption de labels plus exigeants. Nous avons une expérience significative de ces outils, puisque la
quasi-totalité de nos stratégies disposant au moins du label ISR1
, cinq d’entre elles disposant du label
français Greenfin1 – sans doute le plus exigeant en Europe des labels nationaux de finance verte.
Cette expertise nous oblige aujourd’hui à prendre la parole. En l’état actuel des choses, nous
regrettons de constater que l’écolabel s’oriente vers un échec à grande échelle, dont la cause
principale -mais pas unique- est l’impossibilité de développer des produits en actions cotées
répondant au projet actuel de cahier des charges. Le « taux de vert » demandé pour ces fonds, de 50
%, est hors de portée pour ce type de produits, la part verte des principaux indices de marché se
situant en dessous de 2 %.. Cet objectif ne sera pas atteint avant longtemps, si tant est qu’il le soit
un jour. Encore moins en cochant l’ensemble des critères demandés par ailleurs par la taxonomie et
l’écolabel. Dans les estimations dont nous disposons, avec des données identiques à celles utilisées
par la Commission européenne, aucun fonds en action diversifié en Europe ne serait en mesure
aujourd’hui d’obtenir l’écolabel.
Cela traduit un échec en premier lieu pour les épargnants, car l’Europe ne leur donnera pas la
possibilité de disposer de produits d’investissement « verts » fiables pour leurs placements en
actions. Ce sont plusieurs milliers de milliards d’euros potentiels privés d’un outil européen de
fléchage vers des produits verts. Plus grave : l’écolabel risque d’être un échec en termes de
durabilité, car l’absence ou le très faible nombre de fonds labellisés ne permettra pas d’encourager
les entreprises à adapter leur modèle d’affaires à une économie verte. Troisièmement, l’écolabel
risque d’être un échec en termes de finance durable, avec l’élaboration du tout premier standard
européen pour des fonds d’investissement dont les encours resteront faibles . Dans le meilleur des
cas, l’écolabel vivotera en labellisant des produits obligataires sur des montants modestes. Sa valeur
ajoutée pour les citoyens, le développement durable et gestionnaires d’investissement sera alors
questionnable.
Le constat est d’autant plus amer pour des acteurs engagés comme Mirova que nous cherchons à
appuyer le développement de standards élevés et mieux-disants. Mais ceux-ci doivent être réalistes.
Nous avons récemment pris la parole pour apporter notre soutien à une taxonomie européenne à
l’ambition préservée. Nous avons alors réaffirmé que les standards et labels qui se structurent
doivent permettre de tracer la voie vers cette cible qu’est la taxonomie. L’écolabel nous semble pour
cela être l’outil idéal. Mais aujourd’hui, il ne dessine pas cette route. Il est donc aussi de notre
responsabilité d’acteur de terrain de le dire, pour contribuer à faire émerger des solutions qui
fonctionnent et pour accélérer le changement de nos économies, dans le monde réel. Nous
identifions plusieurs malentendus qui ont abouti à cette situation.
Un premier malentendu concerne un aspect trop peu pris en compte dans les débats autour de
l’écolabel, intrinsèque à la nature des produits en actions : la nécessité de diversifier les secteurs
d’investissement. Même avec la stratégie la plus verte, un fonds en actions cotées se doit d’investir
dans une variété suffisante de secteurs économiques pour équilibrer ses prises de risques. Cela est
d’autant plus vrai pour des fonds destinés à des épargnants individuels, comme le sont ceux éligibles
à l’écolabel, qui exigent des niveaux de prise de risque maîtrisés. Cela signifie que, même dans une
économie qui serait déjà verte, un fonds « vendable » ne pourra pas être investi à 50 % dans des
activités vertes, celles-ci représentant une diversité de secteurs trop restreinte. Un épargnant avec
qui l’on prend le temps et la transparence pour expliquer cet élément de base comprend cela
parfaitement : il ne s’agit en rien de green-washing2
, c’est un sujet d’éducation financière
Les seules exceptions que nous identifions confirment cette analyse. Des fonds thématiques, très
concentrés, par exemple des fonds passifs presqu’exclusivement investis sur des énergies
renouvelables, pourraient peut-être passer la « barre » de 50% de l’écolabel. Mais leur niveau de
concentration les rend très risqués et donc inadaptés pour être proposés à des épargnants. Ces
fonds ont en outre un potentiel déstabilisateur: trop investis, leur niveau de concentration risquerait
alors d’assécher le marché des actifs verts, de réduire sa liquidité et donc son bon fonctionnement.
Ce n’est sans doute pas ce que cherche le régulateur.
Un deuxième malentendu concerne la présumée absence d’impact environnemental et social de
certaines classes d’actifs, en particulier les actions cotées. Certains acteurs considèrent que l’impact
des investissements dans un fonds en actions, quelle que soit sa part verte, a finalement peu
d’impact dans le monde réel car il ne se traduit par aucun projet concret. Il suffit pourtant de
prendre de la distance et de retourner l’argument pour réaliser qu’il ne tient pas la route. Car alors,
si ces investissements n’ont aucun impact réel, s’ils ne changent pas la donne, pourquoi finalement
se formaliser d’investissements massifs dans les actions d’entreprises liées aux combustibles fossiles
et à tous les secteurs les plus nocifs en matière durabilité? L’absence de preuve empirique ne signifie
pas pour autant une absence d’impact.
L’impact des fonds en actions cotées est réel, il est surtout potentiellement massif, mais il est
indirect. Cela doit être expliqué de manière claire aux épargnants. Surtout, leur impact ne se joue
pas au niveau d’un seul produit. C’est l’agrégation des montants fléchés vers un même objectif – la
taxonomie, dans le cas de l’écolabel- qui fera la différence, qui fera évoluer la stratégie des
entreprises pour créer les modèles d’affaires appropriés au monde de demain. Différentes
recherches l’ont démontré : pour maximiser l’impact de fonds verts, mieux vaut 200 fonds et de gros
montants fléchés à des proportions moindres vers des objectifs convergents qu’une dizaine de fonds
« purs et parfaits » fléchés à 40 ou 50 %. La probable absence ou le faible nombre de fonds labellisés
efface donc toute perspective d’impact positif en matière de durabilité.
Un troisième et dernier malentendu concerne les conséquences de la mise en œuvre du règlement
taxonomie. L’impossibilité d’investir de telles proportions d’encours sur des activités vertes ne tient
pas tant à l’absence d’information au niveau des émetteurs qu’à un niveau trop peu avancé de
transformation de nos économies. Les entreprises dont l’activité est compatible avec la taxonomie
ne cachent pas les actifs verts derrière des rideaux pudiques : sauf pour quelques pures players3
, ces
activités restent faibles. Ce n’est pas une surprise : si l’économie était déjà compatible avec l’accord
de Paris, nous n’aurions besoin ni d’accord de Paris, ni de taxonomie. Ces actifs n’existent pas encore
ou pas suffisamment. D’après les estimations d’ISS-ESG4
, les actifs potentiellement compatibles avec
la taxonomie en l’état représentent donc moins de 2% des principaux indices de marché. La mise en
œuvre de l’obligation de transparence sur le chiffre d’affaire vert facilitera grandement notre travail
d’investisseur, mais il ne modifiera pas du jour au lendemain la réalité industrielle. Cela se fera
progressivement, sur plusieurs années.
Nous appelons de nos vœux un écolabel qui contribue à changer la donne et offre aux épargnants
européens des produits d’investissement qui aient du sens. En particulier, la part verte des produits
en action doit pour cela être reconsidérée de manière réaliste et relative : cinq fois le taux estimé
des principaux indices de marché pourrait être un point de départ, soit environ 10 à 15 %. Ce taux
devrait ensuite être revu régulièrement, par exemple tous les deux ans, pour s’améliorer à mesure
que le marché évolue et se rapprocher progressivement d’objectifs plus ambitieux. Les
investissements en infrastructures et les investisseurs institutionnels doivent aussi pouvoir être
intégrés. Nous appelons également à ne pas retarder son adoption. Pour la taxonomie comme pour
l’écolabel, l’attente et la recherche d’un résultat pur et parfait ne fera que freiner notre action
collective, alors qu’il est plus que grand temps d’agir !
Philippe Zaouati Directeur Général de Mirova