Charles Caudrelier prêt à décrocher son graal

« Un jour je veux être là ». Mieux encore qu’un rêve, c’est une décision que prend ce jour-là Charles Caudrelier. Il a 18 ans et il assiste à Concarneau au départ de Michel Desjoyeaux sur une course au large. Fasciné par ce skipper – « qui va être un grand champion » selon les mots, visionnaires, de son père – Charles sait désormais de quoi sera fait sa vie. 

Trente ans plus tard, tandis qu’il est en mer, en tête de la célèbre Route du Rhum sur un non moins mythique trimaran géant, le Maxi Edmond de Rothschild, Charles Caudrelier réalise ses rêves. 

Fondé sur le Figaro au début des années 2000, le palmarès de l’un des meilleurs navigateurs de sa génération, s’est, depuis, magnifiquement étoffé grâce aux nombreuses victoires en double ou en équipage. Pourtant c’est bien le plaisir en solitaire qui attire depuis toujours le petit Charles devenu grand.  Admiratif des Michel Desjoyeaux, des Laurent Bourgnon il veut faire comme eux. Quand il dit à ses parents qu’il va dormir sur le bateau familial amarré au port, personne ne sait qu’en fait, Charles « fait le mur » et part naviguer seul toute la nuit. Et sans doute qu’en filant sous le vent et les étoiles au large des Glénan, il rêve qu’il passe en vainqueur la ligne d’arrivée à Pointe-à-Pitre. « Quand je partais la nuit tout seul, tirer des bords, j’avais la sensation de faire un exploit. C’était grisant. La course en solitaire c’est une vraie aventure ». Le « dépassement et le côté extrême de l’exercice » l’attirent et très vite il s’y sent « très à l’aise ».

« Les jeunes comme nous, passionnés et gratuits, on avait la cote ! » ­
­ Arrivé à Beg-Meil dans le Finistère à deux ans, Charles a d’abord vécu la voile à travers la passion de son père. Ses premiers bords, il les tire sur des planches à voile dont le paternel possède « tout un arsenal ». Attiré par la compétition et le sport, il se lance aussi dans le golf. Mais, à 15 ans, une péritonite le prive de fairways pendant tout un été. « J’ai alors passé deux mois à naviguer et je n’ai plus jamais touché un club de golf ». Le centre d’entraînement de Port-la-Forêt, en face de chez lui, lui fait de l’œil. « Je voyais Michel (Desjoyeaux) et Jean (Le Cam) qui s’entraînaient tous les deux et ça me fascinait ». Son père, sensible à la passion de son fils, décide d’investir dans un monotype « Figaro » pour le louer à des skippers. Il fait affaire avec Marc Guillemot en lui proposant un bon prix en échange de quoi le skipper accepte d’emmener son fils faire ses premières régates. « C’était un bateau assez technique, se souvient Charles, et j’étais encore incapable de l’utiliser tout seul. »  Mais il apprend vite.
  Parti à Nantes faire l’école de la marine marchande, Charles ne s’éloigne pourtant jamais très loin de son port d’attache. « Pendant ces cinq années d’études, je sèche souvent les cours.  Je crois même que je n’ai jamais autant navigué que pendant que j’étais étudiant », sourit-il, même s’il se débrouille toujours pour réussir les examens à la fin de chacune de ses années scolaires. Tous les week-ends, Charles participe aux régates ou aux entraînements. « On commence alors à faire du match-racing et ce sont les premières fois où on se confronte au haut niveau, contre des mecs qui faisaient la Coupe America. C’est là qu’on a tous beaucoup progressé ». « On » c’est la nouvelle génération dont Charles fait désormais partie. Les Franck Cammas, Armel Le Cléac’h, Erwan Tabarly, Ronan Lucas… « Les grands skippers de l’époque nous aimaient bien. Ils n’avaient pas de gros budget. Donc, les jeunes comme nous, passionnés et gratuits, on avait la cote ! » 
  Cette époque est aussi celle des premières navigations avec celui qui va devenir plus qu’un fidèle compagnon de voile. C’est Franck qui, malgré ses tout juste 20 ans, pousse Charles à aller voir les stars du métier pour leur proposer leurs services. « Il n’avait peur de rien. Nous n’avions que deux ans d’écart, mais en termes de maturité il avait déjà dix ans d’avance ». Desjoyeaux, le « professeur » les prend sous son aile… « On avait 20/22 ans, se souvient Franck Cammas et, depuis, on n’a cessé de se côtoyer et de naviguer ensemble. On a même été colocataires ! Ça crée des liens. Il y a un profond respect installé entre nous deux, une grande confiance dans les capacités de l’un et de l’autre ». 


Une addiction à la course en solitaire ­
­ Ses grands débuts, et ses premières places d’honneur et victoires, Charles va les connaître dès la fin de ses études. Alors qu’il doit faire son armée à Brest comme simple mataf, il tombe sur un commandant conciliant qui assouplit largement ses obligations militaires et le laisse naviguer à sa guise. Une aubaine. Armé d’un sponsor local, Charles fait ses premières armes sur la Solitaire du Figaro dont il est le premier bizuth en 1999. Ces bons résultats, il les doit aussi à sa « culture maritime » développée grâce à ses études. « Pour la course au large il n’y a pas tellement d’école. Les autres viennent souvent de la voile olympique mais moi j’ai un bon sens marin et je trouve souvent les bons réglages sur le bateau ». Surtout il excelle (déjà) dans les trajectoires. Pourtant à l’époque les skippers ont très peu de moyens technologiques comme aujourd’hui mais Charles passe du temps à « soigner ses trajectoires : la navigation, c’est vraiment là où je fais la différence. »


  C’est le début d’une carrière brillante mais qui va l’éloigner, peu à peu, de ses premières amours solitaires. Après avoir gagné La Solitaire du Figaro en 2004, Charles va entamer un magnifique parcours… en équipage. Avec notamment un doublé sur la Jacques-Vabre (avec Marc Guillemot puis Sébastien Josse) avant de triompher sur la Volvo Ocean Race. D’abord aux côtés de son frère d’arme Franck Cammas en 2012, puis en tant que skipper cinq ans plus tard. Un aboutissement et des performances qui forcent le respect. Heureux et riche de ces expériences « extraordinaires », Charles n’a pourtant toujours pas pu assouvir cette addiction aux grandes aventures en solo. Entre les deux Volvo, Charles y a cru. Pressenti pour barrer Safran II lors du Vendée-Globe 2016, il est finalement jugé « trop vieux ».  Sauf que ce ne sont pas tout le temps des Gabart (victorieux à 29 ans en 2012) qui gagnent ! « Des exemples comme ça, c’est tous les vingt ans. Il faut avoir de la maturité pour ce genre de course. Regardez Desjoyeaux qui est allé plus vite que tous les jeunots en 2009… » Déçu, mais jamais abattu, Charles sait que son tour viendra. Et sur la course de ses rêves cette fois. Cette Route du Rhum qui hante ses nuits depuis si longtemps. « C’est la course qui m’a donné envie d’être navigateur. Beaucoup de Français rêvent du Vendée-Globe mais moi j’ai toujours voulu faire la Route du Rhum en multicoque. C’est mon graal, le truc le plus extrême et engagé et la course qui m’a toujours inspiré ».
« Des planètes formidablement alignées » ­
­ Tous les éléments sont aujourd’hui réunis pour écrire une nouvelle page dans un palmarès déjà formidable. « Pour la première fois de ma carrière j’ai le projet parfait en termes de sport. Ça fait plus de trois ans que je navigue sur le Maxi Edmond de Rothschild, que je sais que je vais faire cette course, que j’ai une équipe que je connais parfaitement, avec qui je m’entends très bien et qui est très performante. » Il n’y a qu’à le regarder quand il s’entraîne au large de Lorient. Sans faire de bruit ni de grands gestes, Charles fait travailler son équipe dans une parfaite et précise harmonie où chacun l’écoute et sait ce qu’il a à faire. « Ce qui m’impressionne c’est son implication », glisse Morgan Lagravière, équipier de Gitana 17 et désigné skipper remplaçant sur la Route du Rhum. « Toujours le premier arrivé à la base et toujours le dernier parti. C’est un monstre de travail. En permanence à 100% ». À la barre Charles distille ses réglages, puis sur les multiples écrans il digère les centaines de données pour tirer le meilleur de ce fantastique géant des mers. « Charles arrive à une très grande maturité personnelle et technique et aborde cette course avec beaucoup de confiance. Les planètes sont formidablement bien alignées pour lui », assurait avant le départ Cammas qui travaille aux côtés de Charles depuis plus de deux ans.     Charles a conscience d’avoir « un bateau incroyable qui va marquer son époque car il est révolutionnaire. On pratique un sport mécanique. Ce n’est pas comme le tennis où il te suffit d’avoir une raquette et après c’est à toi de faire tes preuves. Dans la voile le talent ne suffit pas, il faut aussi avoir le bon projet, le bon bateau, la bonne équipe. C’est le cas aujourd’hui ». Bien sûr, il sait que face à lui, il y aura aussi des « énormes équipes », des « stars de la voile » mais il l’assure : « Toutes les conditions pour réussir sont réunies. Maintenant c’est à moi de jouer ».

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