Mirova voit la vie en vert, et 2023 en rose.
2022 ne devait-il pas marquer l’adoucissement des contraintes qu’avait imposées la crise sanitaire ? Et les marchés n’étaient-ils pas supposés en profiter ?
Las, l’agression de l’Ukraine par les troupes russes a anéanti ces espoirs, ses conséquences ayant amplifié les pressions inflationnistes déjà à l’œuvre en raison du gonflement du bilan des banques centrales en 2020 et des mesures de soutien budgétaire adoptées par la plupart des États. Ces pressions menaçaient par ailleurs déjà d’enrayer une dynamique économique vigoureuse, traduite par un accroissement des marges par les entreprises en 2022, tiré en partie du déséquilibre offre/demande issu d’une consommation soutenue. Rien de tout cela n’a cours : conscientes des risques induits par leur création monétaire, Federal Reserve (FED) et Bank of England (BoE)ont précipitamment commencé à relever leurs taux directeurs fin 2021, suivies par la Banque Centrale Européenne (BCE), dans l’espoir de juguler l’inflation en redonnant de la valeur à leurs monnaies respectives face aux matières premières : cela a déjà donné des résultats, fragiles mais visibles depuis la mi-2022, notamment aux États-Unis.
Ces institutions monétaires doivent néanmoins rester sur leurs gardes :
si la FED a pu compter sur l’exceptionnelle dotation en ressources naturelles dont jouit l’Amérique du Nord pour ajouter au renforcement du dollar comme facteur d’abaissement des prix de l’énergie, elle doit maintenant s’atteler à empêcher que la vigueur du marché de l’emploi nord-américain n’ouvre la voie à une boucle salaire-prix qui demeure possible aux États-Unis. Jerome Powell devra donc probablement encore procéder à quelques séries de hausses des taux avant de les stabiliser ;
BCE, Riksbank et BoE ne bénéficient pas de la même marge de manœuvre que la FED : elles doivent donc encore jouer de l’arme monétaire ; en revanche, elles ont bien moins de raisons de redouter que s’enclenche une boucle salaires-prix durable ;
la réouverture de l’économie chinoise, quoi qu’elle en coûte sur le plan sanitaire dans les trois premiers mois de l’année avec l’émergence de nouveaux variants, semble devoir s’ajouter aux pressions inflationnistes sur les matières premières, notamment le pétrole dont le prix du baril a décru depuis le début de l’été, le Brent restant sous les 100$ depuis plus de quatre mois.
En bref, une partie de l’équation inflationniste a été résolue –une partie seulement certes – augurant des relèvements des taux directeurs désormais moins violents, pour des raisons assez différentes selon le côté de l’Atlantique où l’on se trouve : les menaces auxquelles doit veiller la FED
ne correspondent plus à celles que doivent gérer ses consœurs du vieux continent. Parler de pivot demeure dans ce contexte sans doute prématuré : les premières batailles remportées invitent à maintenir la vigilance plutôt qu’à considérer la guerre déjà gagnée.
2023 : UNE RÉCESSION QUI SE DÉROBE ?
La question consiste dès lors à comprendre le coût de ce combat : faudra-t-il en passer par une récession pour que l’inflation descende sous les 5 % ? Nous prenons le contrepied du marché sur ce sujet, mais malgré l’inversion de la courbe des taux et les précédents historiques, nous pensons que Jerome Powell n’aura peut-être pas besoin d’aller aussi loin que Paul Volcker3 n’eut à le faire dans sa politique restrictive. Il lui suffira sans doute de viser le marché immobilier pour, en dépit de l’impact défavorable sur l’effet richesse qui en résultera, parvenir à calmer le potentiel d’inflation supplémentaire sans pour autant endommager le potentiel des secteurs productifs aux États-Unis. Pas de pivot donc, car J. Powell devra éviter que la dynamique du marché de l’emploi ne se traduise en boucle salaire-prix. Tout signal d’une inflation sous-jacente repartant à la hausse se verra traité par un relèvement supplémentaire.
Nous nous montrons en revanche plus consensuels concernant l’Europe, que nous voyons mal échapper à une récession, à moins d’un règlement rapide du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Les coûts de l’énergie, même contenus grâce à un hiver pour l’instant clément et à des réserves bien anticipées, pèseront toujours sur la consommation, avec des effets de reports sans doute moindres qu’aux États-Unis et au Canada, voire sur la production, notamment de la part des PME, trop petites pour que les taux de défaut ne traduisent pas une hausse du stress économique.
Entre ces contextes économiques potentiellement moins défavorables que ce que reflètent les craintes des marchés, une inflation ramenée sous les 5 % et sans doute pas beaucoup moins – nous maintenons nos prévisions de l’année dernière selon lesquelles un retour au régime d’inflation des années 2000 et 2010 paraît hors d’atteinte – il ne suffirait que de quelques bonnes nouvelles sur le front ukrainien pour transformer 2023 en l’inverse de 2022.
MARCHÉS ACTIONS : PIC D’INFLATION PASSÉ, VALO ACTIONS BOOSTÉE
S’agissant des actions, un tel scénario se traduirait ainsi par des bénéfices plus faibles mais des valorisations plus élevées avec à la clé une année positive pour les actions. Nous pensons toujours que l’inflation devrait rapidement redescendre autour de 4 à 5 % du fait de la baisse du prix des biens, de l’énergie et via les effets de base. Or, historiquement, chaque fois qu’un pic d’inflation a été atteint, cela s’est avéré très favorable pour la classe d’actifs.
Certes le fléchissement de la demande entraîné par celui des revenus réels des consommateurs, couplé à une augmentation de l’offre, se répercutera sur les marges de certaines entreprises, mais beaucoup ont compris comment maintenir leur pricing power4 : nous n’envisageons ainsi au global qu’une baisse relativement modérée des BPA5 sur l’année 2023 (entre 0 et – 10 %). En outre, nous pensons que les valorisations bénéficieront d’une accalmie sur les taux ainsi que d’une diminution des incertitudes macroéconomiques, les principales économies démontrant une résilience supérieure à celle que redoutaient nombre d’acteurs.
Après s’être contracté de plus de quatre points en 2022, le ratio moyen cours/bénéfices des actions européennes devrait donc rebondir et converger vers sa moyenne historique autour des 14 à 15X, reflétant un retour à la croissance tendancielle des bénéfices en 2024 après une légère contraction en 2023.
Nous privilégions les actions européennes par rapport aux actions américaines d’un point de vue géographique. L’écart de valorisation entre les deux zones s’inscrit à un plus haut historique, la prime de risque actions relativement aux obligations crédit est bien plus attractive en Europe qu’aux États-Unis, les craintes concernant l’impact de la crise énergétique à court terme semblent exagérées et l’économie européenne pourrait largement profiter de la réouverture chinoise post-COVID au printemps. Par ailleurs, l’euro devrait poursuivre son mouvement de réappréciation face au dollar compte tenu du rattrapage monétaire que doit opérer la BCE.
Au niveau sectoriel, nous avons une préférence tactique pour les valeurs cycliques, essentiellement pour des questions de valorisation et de positionnement, et en raison du report de consommations vers les biens discrétionnaires que permet la baisse des dépenses contraintes liées à l’énergie. Nous maintenons aussi notre surpondération sur certains segments value, tels que les banques et l’automobile, que nous avons renforcés ces derniers mois. Au sein des défensives, nous maintenons notre surpondération sur les secteurs pharmaceutique et utilities6, qui bénéficient de perspectives de croissance attractives, même si celui des utilities pourrait pâtir à court terme
de la baisse des prix de l’énergie. Nous maintenons notre sous-exposition aux secteurs de la consommation de base, trop chèrement valorisés et à risque en termes de marge. Par ailleurs, le contexte géopolitique renforce l’attrait pour les sociétés bénéficiant des plans de relance visant à permettre l’accélération de la transition énergétique et la recherche de souveraineté technologique, thématiques sur lesquelles nous avons de fortes convictions et surexpositions structurelles (énergies renouvelables, voitures électriques, recyclage et extraction de métaux rares, rénovation des bâtiments, efficacité énergétique, semi-conducteurs, etc.).
MARCHÉS OBLIGATAIRES : APRÈS LE KRACH, LE YIELD
Sur les taux, nous nous attendons à ce que la BCE procède à un relèvement de 50 bp en février et en mars, puis au moins 25 points de base en mai, ce qui porterait les taux à 3,25 %-3,50 % en zone euro. Côté US, la Fed pourrait remonter ses taux de 25 bp en février, mars et mai, afin de converger vers un taux terminal à 5 % et ainsi contrôler la dernière menace qu’elle redoute, celle d’une boucle salaire-prix.
La hausse sur les taux l’année dernière fut la plus forte depuis 40 ans, provoquant un krach obligataire. À présent, le mouvement de désinflation de part et d’autre de l’Atlantique, le ralentissement macroéconomique – bien que moindre que redouté – et le regain de crédibilité des banques centrales devraient justifier une accalmie en 2023. Par ailleurs, le positionnement sur les taux longs reste encore agressif et la classe d’actifs présente un portage attractif. Nous maintenons une position très légèrement short duration8 à court terme compte tenu du
mouvement récent de baisse des taux, mais restons constructif sur la classe d’actifs à horizon fin 2023.
Côté crédit, la hausse du taux de défaut devrait être modérée au vu des fondamentaux des entreprises, du moins de celle aptes à émettre sur les marchés. Par ailleurs, sinon surtout, les obligations, y compris investment grade9, bénéficient d’un portage désormais attractif en regard d’une inflation censée s’estomper. La baisse attendue de la volatilité taux en 2023 pourrait également constituer un élément positif. Reste à mesurer l’impact du quantitative tightening10 de la BCE sur le marché du crédit sur les prochains mois même s’il devrait être à priori graduel car peu de papiers détenus par la banque centrale arrivent à échéance fin 2023. Nous restons donc là aussi constructifs sur la classe d’actifs pour l’année à venir avec pour objectif de maximiser nos points d’entrée via le marché primaire.
2023 : LE REDRESSEMENT APRÈS LA CONVALESCENCE ?
Si le conflit entre l’Ukraine et la Russie ne déborde pas de son cadre actuel, et que les inéluctables séquences de stress n’aboutissent pas à assécher à ce point la liquidité que certains gros acteurs institutionnels en souffrent, 2023 devrait ressembler à une année de redressement après la convalescence de la fin 2022. Les excès monétaires de 2020 se voient peu à peu purgés, même si le chemin reste long, et la variable d’ajustement pourrait bien se trouver dans les actifs non productifs plutôt que dans ceux qui font l’économie bas carbone de demain, à savoir les travailleurs, et tous les agents économiques œuvrant aux transitions énergétique et sociale en cours.