Bruno Clément-Bollée: « En 2024, se réveiller en Afrique, urgence signalée! « 

Dans le domaine de la stratégie de diplomatie, les temps actuels nous livre en Afrique un spectacle étonnant. Les surprenantes initiatives lancées ces jours derniers sur ce continent, stimulées par des situations d’enclavement, novatrices et visionnaires, méritent attention. Utiles et bienvenues, en cela qu’elles sont de nature à l’apaisement régional, elles soulignent hélas en creux l’inquiétant silence d’une diplomatie française bien à la peine, traduction d’une absence totale de vision sur l’Afrique. Aujourd’hui, nous ne faisons qu’y réagir aux coups reçus. C’est pourtant là que se joue notre destin de puissance. Le maintien d’un lien fort, équilibré et respectueux entre la France et l’Afrique est d’intérêt vital. Aussi, les initiatives évoquées devraient nous interpeller et nous stimuler pour concevoir et décliner au plus vite la stratégie qui traduira une vision française ambitieuse. Sans mésestimer les difficultés qu’elle y rencontre, soulignées sans détour par un récent rapport parlementaire, quand on parle de rayonnement, sa politique africaine ne peut se résumer à une loi immigration faite de compromis politiciens en amont et la fermeture d’ambassade en aval.

Nul besoin d’être expert en géopolitique pour savoir que l’enclavement n’est pas le positionnement géographique idéal pour un pays. L’absence de débouché maritime crée une insupportable dépendance quand il s’agit d’approvisionnement de tous ordres, avec risques d’embrasement quand la situation régionale est déjà tendue. Tous les acteurs régionaux concernés savent qu’il faut agir urgemment sous peine de tous en pâtir. Pour autant, le désamorçage de ces crises potentielles est complexe et délicat, mais pas impossible. A ce sujet, deux exemples méritent attention en toute fin d’année passée

D’abord au Sahel, dans la situation épouvantable que l’on sait, le Maroc vient de proposer au Mali, au Burkina Faso et au Niger, pays enclavés et isolés par de lourdes sanctions prises à leur encontre, de s’ouvrir vers l’Atlantique en bénéficiant de facilités routières et portuaires mises à leur disposition par le Royaume. Proposer à ces trois pays de regarder vers l’ouest, c’est original, nouveau et intelligent. Cela s’inscrit parfaitement dans la vision stratégique marocaine de rayonnement sur le continent. De portée régionale, l’initiative, déjà acceptée par les futurs bénéficiaires, ne peut que contribuer à l’apaisement général d’une zone sahélienne rudement éprouvée par l’instabilité politique, le terrorisme religieux et les méfaits des trafics de tous ordres. Dans ce contexte apocalyptique, la proposition marocaine, constitue
la seule touche d’optimisme du lourd contentieux sahélien. Proposer de rebâtir une relation en s’appuyant de façon concrète et réaliste sur la facilitation d’échanges économiques, sans mésestimer les difficultés, voilà qui ne manque pas d’audace et d’originalité. Les populations sahéliennes concernées, premières victimes des sanctions, apprécieront.

A l’est ensuite, dans une corne de l’Afrique peu avare en situations complexes et potentiellement explosives, celle de l’Éthiopie n’est pas des moindres qui, enclavé lui aussi éprouve les pires difficultés à contenir une population bouillonnante de plus de 120 millions d’habitants. Une inquiétante déclaration de son Premier Ministre a récemment suscité une vive émotion dans tous les pays de la région. Il note que tous les pays enclavés ont le droit international d’obtenir un accès fiable à la mer et peuvent recourir à tous les moyens pour résoudre la question en cas de non satisfaction. Là encore, la situation d’enclavement a inspiré une initiative particulièrement surprenante, tant par l’identité de son géniteur que par son originalité.

C’est la Russie qui propose au Soudan du Sud, à Djibouti et à l’Éthiopie un montage complexe d’échanges économiques susceptible de décrisper durablement la tension régionale. Il s’agirait pour la Russie et le Soudan du Sud de construire un oléoduc vers la mer Rouge via l’Éthiopie et Djibouti, projet que ces derniers envisageaient déjà. Par ce biais la Russie pourrait aider à résoudre le dilemme financier de Djibouti qui justement entrave les progrès dans les pourparlers portuaires commerciaux et militaires en cours avec l’Éthiopie. Djibouti pourrait être disposé à revoir son tarif onéreux pour que l’Éthiopie accède à son port commercial si en retour on lui garantissait le droit d’acheter du pétrole, celui de l’oléoduc, à des prix négociés. Djibouti y gagnerait beaucoup au plan financier en comparaison du maintien des tarifs actuels qui agace tant l’Éthiopie. La confirmation d’échanges avancés sur le sujet
montre le vif intérêt accordé à la proposition.

Sans présager du résultat de ces initiatives qui ne relèvent pas que de l’altruisme de leurs géniteurs, elles offrent quand même à des acteurs potentiellement rivaux un espace de dialogue propice à l’apaisement. Pourquoi ne pas s’en inspirer pour relancer la machine France. Au Sahel d’abord, le Maroc démontre une fois de plus la performance de haut vol de sa diplomatie au service d’une stratégie de rayonnement ambitieuse et bien pensée dans le cadre d’une active coopération sud-sud. Proposer au Maroc de l’aider à démultiplier sa stratégie de rayonnement au Sahel et ailleurs en Afrique en mettant à disposition moyens techniques et financiers ne serait-il pas opportun ? Œuvrer en deuxième rideau, dans la
discrétion, de façon utile, concrète et efficace permettrait d’engranger une juste reconnaissance et de revenir progressivement dans le jeu régional sans s’imposer bruyamment. Bien sûr, il faudrait d’abord regagner la confiance du Maroc. Un positionnement clair et net en sa faveur sur le Sahara occidental serait un geste fort sans nul doute apprécié par le Royaume. D’autres et pas des moindres viennent de le faire. Il coûterait bien peu quand les exigences des autorités algériennes, chaque jour révisées à la hausse, laissent peu d’espoir à la France d’arriver un jour à une relation apaisée avec leur pays.

Dans la Corne de l’Afrique ensuite, l’initiative russe surprend. Alors que le rouleau compresseur de sa machine sécuritaire servi par une grossière propagande poursuit son avancée spectaculaire en comblant les vides, notamment ceux laissées par les retraits français, la Russie nous apprend qu’elle a aussi une vision économique en Afrique plus fine et intelligente que le pillage auquel elle nous avait habitués pour payer ailleurs ses mercenaires.
La diplomatie russe aura tiré profit des années Mengistu. La France aussi peut revendiquer une réelle expérience dans la Corne où elle est depuis longtemps un acteur reconnu. Doit-elle laisser faire la Russie, comme au Sahel et en Afrique centrale ? Repenser urgemment son engagement dans cette région d’avenir, hautement stratégique, apparaît plutôt préférable.

A l’heure où son positionnement en Afrique est rudement mis à mal quand son intérêt de puissance exige plus que jamais un lien fort avec ce continent dans un contexte devenu fortement concurrentiel, la France ne peut se contenter de regarder passer le train. La conception d’une politique africaine ambitieuse, fruit d’une vision politique d’envergure est aujourd’hui d’intérêt vital. Elle pourrait s’articuler autour de deux axes, le collectif et l’individuel.

A l’heure où son positionnement en Afrique est rudement mis à mal quand son intérêt de puissance exige plus que jamais un lien fort avec ce continent dans un contexte devenu fortement concurrentiel, la France ne peut se contenter de regarder passer le train. La conception d’une politique africaine ambitieuse, fruit d’une vision politique d’envergure est aujourd’hui d’intérêt vital. Elle pourrait s’articuler autour de deux axes, le collectif et l’individuel.

L’image France étant actuellement brouillée aux yeux des opinions publiques africaines, il s’agirait, au plan international et parce que l’union fait la force, de trouver des partenaires motivés par l’action au Sud. Justement, il en est de proches en Europe, ceux du monde méditerranéen, qui partagent avec nous intérêts, défis et interrogations quand il s’agit d’Afrique. La formation d’une solide coalition sud européenne n’aura-t-elle pas du sens en proposant aux pays d’Afrique intéressés d’œuvrer ensemble pour transformer l’espace mortifère qu’est devenu la Méditerranée en pont d’échange et de coopération au bénéfice de tous, ? A bien y réfléchir, cela pourrait aller très loin, une sorte de plan Marshall que l’Europe
du Sud par intérêt bien compris aurait tout intérêt à assumer dignement. Œuvrer en amont par coopération est plus convaincant et motivant que la seule action en aval par coercition.

Au plan national ensuite, plutôt que la réaction au coup par coup, c’est à partir de la vision internationale proposée que tous les chantiers pourraient alors être revus, en cohérence.
Présence militaire repensée dans ses missions, sa forme et son positionnement, développement économique au diapason du souhait des partenaires africains, organisation des partenariats publics-privés pour aider aux grands chantiers d’infrastructure, aide publique au développement revisitée pour laquelle le changement du seul acronyme ne peut suffire…
Resterait à trouver la forme de cet engagement qui ne peut s’imaginer que dans le nouveau
paradigme de l’Afrique aux Africains, autrement dit en posture d’accompagnement bien
pensée.

Dans ses vœux à la Nation, notre Président a cité entre autres le « sentiment de déclassement » ressenti par les Français en 2023. Par hésitation ou pire, pusillanimité, ne transformons pas ce sentiment en réalité. En 2024, il faut nous réveiller en Afrique. Alors que viennent d’être nommés de nouveaux responsables pour l’Afrique, respectivement conseiller à l’Élysée et directeur au Quai d’Orsay, formulons le vœu qu’à l’aube de l’année nouvelle on saura enfin concevoir une stratégie française novatrice, digne et ambitieuse pour l’Afrique et qu’on aura l’audace de la décliner avec panache.

Bruno Clément-Bollée
général de corps d’armée (2S)

ex-commandant des Forces françaises en Côte d’Ivoire et de l’opération Licorne
ex-directeur de la coopération de sécurité et de défense au Quai d’Orsay
Consultant international et conférencier

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