Les défis du déploiement de l’IA dans le secteur financier Par Achraf AYADI
L’intelligence artificielle (IA) offre des opportunités sans précédent pour les banques et les institutions financières, telles que des gains de temps significatifs sur certaines tâches récurrentes et manuelles, une personnalisation accrue des services aux clients et aux collaborateurs, ainsi que de meilleures possibilités d’exploitation de grandes masses de données, pour n’en citer que quelques-unes. L’IA générative, notamment, offre des possibilités d’optimisation du temps, des coûts, des risques et de la productivité susceptibles de bouleverser des pans entiers de l’organisation.
Les banques françaises se sont fortement engagées dans cette voie. En témoignent les centaines de cas d’usage, déjà déployés ou en cours de déploiement, annoncés par BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole et BPCE. Les assureurs ne sont pas en reste avec des initiatives d’IA générative comme celle d’AXA en partenariat avec Microsoft et la startup prometteuse Mistral AI. D’ailleurs, cette dernière a signé un partenariat avec l’ensemble du groupe BNP Paribas à l’été 2024 pour que ses solutions alimentent les centaines de cas d’usage en cours dans l’institution. L’écosystème des startups françaises en matière d’IA est très dynamique et reconnu à l’international. Est-ce cette piste-là que vont privilégier les centaines d’institutions financières agréées en France, de taille plus modeste et actuellement très discrètes sur leurs intentions en matière d’IA ?
Quelle que soit la taille de l’établissement, le déploiement de l’IA est entravé par de nombreux défis qui doivent être surmontés pour une mise en œuvre réussie. Les directions métiers, comme les DSI, peinent souvent à se positionner sur le sujet de l’IA pour deux principales raisons : la méconnaissance du sujet et l’appréhension des conséquences.
Le sujet de l’IA nécessite un effort de sensibilisation et de formation significatif pour tous les collaborateurs. Cet effort, qui doit être conduit dans le cadre d’objectifs managériaux clairs, conditionne l’identification des cas d’usage en IA. Par définition, les équipes et leurs managers ne pourront pas proposer des cas d’usage impactant leur quotidien sur un sujet qu’ils ne connaissent pas. Et si, en amont de ce processus d’identification, les directions générales n’ont pas été claires sur les priorités stratégiques, les managers ne sauront pas cadrer l’effervescence de leurs équipes pour sélectionner les cas d’usage les plus alignés avec la feuille de route de leur direction.
Ensuite, les responsables de business units dans les établissements hésitent à donner le ton par appréhension des changements trop rapides que l’IA peut induire sur leur organisation. Il faut se rendre à l’évidence que les gains promis par l’IA entraîneront quelques grincements de dents et des efforts imprévus : chaque collaborateur accéléré par l’IA demandera-t-il la redéfinition de son poste ou la revalorisation de sa rémunération du fait de cet accroissement de productivité ? Certaines tâches répétitives désormais confiées à l’IA n’appelleraient-elles pas à un redéploiement différent des équipes, à revoir l’organisation, à consulter les partenaires sociaux ?
Au-delà des questions de l’articulation stratégie-organisation-humain, le déploiement de l’IA dans les institutions financières posera d’autres problématiques très concrètes. Un des principaux obstacles concerne la qualité et l’exactitude des données. Les systèmes d’IA dépendent fortement de données de haute qualité pour fonctionner efficacement. Les banques sont confrontées à des problèmes de complétude, de cohérence et de fiabilité des données. Des systèmes d’informations silotés finissent par fournir des données inexactes ou incomplètes, ce qui peut conduire à alimenter des processus d’apprentissage erronés, affectant la prise de décision et la confiance dans les systèmes d’IA. Les DSI s’interrogent souvent sur le moyen d’intégrer la dimension technique de ces enjeux dans des feuilles de route déjà bien chargées et des équipes engagées sur d’autres technologies.
Sur le plan réglementaire et de la conformité, les banques opèrent dans un environnement strict, sensible à une multitude de risques. L’implémentation de l’IA doit se conformer à des réglementations concernant l’utilisation des données, la confidentialité des consommateurs et l’IA responsable. Le Règlement sur l’IA de l’Union européenne, entré en vigueur le 1er août 2024 et dont l’application complète est attendue pour 2026, introduit de nouvelles exigences pour les institutions financières utilisant des systèmes d’IA. Les systèmes d’IA à haut risque, tels que ceux utilisés pour l’évaluation de la solvabilité ou la gestion des risques d’assurance, doivent respecter des normes strictes de sécurité et de conformité, augmentant la complexité de leur déploiement. Les équipes risques et les exploitants des systèmes existants sont-ils prêts à adresser ce type d’enjeux ?
Les préoccupations éthiques et de sécurité sont également au premier plan. Les systèmes d’IA peuvent involontairement reproduire ou amplifier des biais présents dans les données d’entraînement, conduisant à des décisions discriminatoires. Il est crucial pour les banques de développer des directives et des pratiques exemplaires pour assurer l’équité et la transparence dans leurs applications d’IA. De plus, la protection des données sensibles des clients est primordiale. Les banques doivent mettre en œuvre des techniques de cryptographie robustes et des cadres complets de gestion des risques liés à l’IA pour assurer la confidentialité et la sécurité des informations. Un effort considérable de tests et de surveillance de ce type de préoccupations permet de réduire significativement ces risques, sans pouvoir les éliminer complètement.
Les défis opérationnels et de mise en œuvre incluent le coût de mise en œuvre, qui peut être substantiel en raison de l’investissement initial dans l’infrastructure d’IA, le recrutement de talents et l’intégration des systèmes. Les institutions financières doivent peser ces coûts par rapport aux avantages à long terme de l’adoption de l’IA. La pénurie de talents est un autre obstacle, avec une concurrence accrue pour les experts en IA et en science des données. Attirer et retenir des talents de haut niveau, ainsi que former le personnel existant, constituera un défi majeur pour la pérennité des initiatives et des cas d’usage.
Pour surmonter ces défis, les institutions financières devraient commencer par des cas d’utilisation simples, innover dans des processus spécifiques, renforcer la gouvernance de l’IA, investir dans les talents et collaborer avec des partenaires externes. Surtout, ne pas se tromper de sujet : l’IA est là pour accélérer l’humain et mieux le mettre en valeur et non pas pour lui faire concurrence !
Pour tous les dirigeants indécis, il est primordial de commencer à s’intéresser au sujet et à le structurer dans le cadre de communautés de pratiques multi-métiers au sein de l’organisation. Cela permettra d’être prêt à déployer une fois que les collaborateurs sont formés, les cas d’usage identifiés et priorisés, et que les choix techniques adéquats sont fixés.
Achraf AYADI est le fondateur du cabinet de conseil Altavo Partners basé à Paris : www.altavo.fr