Bons du Trésor Américain : la fin d’un totem ?
Par Dave Rolley, gérant, coresponsable de la gestion obligataire chez Loomis, Sayles & Company
Les bons du Trésor américain, longtemps perçues comme un actif refuge, ont vu leur rôle évoluer sous l’effet des chocs macroéconomiques et géopolitiques récents. L’incertitude quant à la nature des prochains chocs (inflationnistes ou déflationnistes), les tensions commerciales et les déséquilibres budgétaires américains remettent en question leur capacité à assurer leur fonction historique de diversification et de stabilisation des portefeuilles.
Historiquement, les bons du Trésor américain ont offert une protection efficace contre les chocs de demande, notamment en période de récession, les baisses anticipées des taux d’intérêt entraînant une hausse de leur valeur. De 2002 à 2019, ce mécanisme a bien fonctionné. Toutefois, le choc inflationniste de 2022 a inversé cette dynamique : la hausse des taux a simultanément pénalisé obligations et actions, toutes deux sensibles à la durée. Ainsi, leur efficacité comme couverture dépendra de la nature du prochain choc : favorable en cas de choc de demande (récession), inefficace voire nuisible en cas de choc d’offre (inflation).
Les hausses tarifaires ont un impact ambigu sur les bons du Trésor américain. Si elles soutiennent théoriquement les recettes publiques, elles freinent également la croissance potentielle et accentuent les pressions inflationnistes. Lorsque les droits de douane deviennent importants et imprévisibles, la destruction de la demande peut prédominer, incitant la Fed à envisager des baisses de taux. Mais en avril, malgré une attente accrue de détente monétaire, les bons du Trésor américain ont reculé, signe d’un « boycott » des investisseurs, qui exigent désormais une prime de risque plus élevée face à une politique américaine jugée instable.
Dans ce contexte, nous avons réorienter progressivement notre allocation vers d’autres marchés souverains, notamment la zone euro et le Japon. Dans nos portefeuilles en USD, la préférence va aux maturités inférieures à dix ans, la partie longue de la courbe étant jugée vulnérable aux déséquilibres budgétaires persistants des États-Unis (déficit à 7 % du PIB, dette à 100 % du PIB), ce qui pourrait entraîner une courbe plus pentue et des primes de risque accrues.