Franck Dixmier : « La Fed sur une ligne de crête »
Dans un contexte de tensions sur les anticipations d’inflation, très au-dessus de l’objectif de moyen terme de la Fed, nous anticipons l’annonce du lancement du tapering, avec effet immédiat, lors de la prochaine réunion du FOMC. Nous attendons surtout une modification de la forward guidance de la Fed, la séquence présentée au marché précédemment ne nous semblant plus adaptée aux circonstances actuelles. Un discours ferme sur l’inflation permettrait de limiter la hausse des rendements obligataires en renforçant l’aplatissement de la courbe des taux. Notre scénario demeure une hausse modérée et très graduelle des taux. |
Le contexte a changé depuis la réunion du Comité de politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed) de fin septembre. De l’aveu même de son président Jerome Powell lors de récentes déclarations, le discours qui a prévalu pendant des mois sur le caractère transitoire du pic d’inflation – un constat basé sur la hausse des prix de l’énergie, des pénuries de main d’œuvre et les perturbations du côté de l’offre – n’est plus tenable.De fait, l’indice des prix à la consommation (Consumer Price Index, CPI) a augmenté de 5.4% et le core CPI de 4% sur 1 an (à septembre). De son côté, le Core PCE (Personal Consumption Expenditures), le déflateur des dépenses à la consommation et l’indicateur préféré de la Fed, a crû de 3.6% sur la même période. Les doutes sur le caractère transitoire de l’inflation se reflètent dans les tensions sur les anticipations d’inflation, qui se situent désormais très au-dessus de l’objectif de moyen terme de la Fed. Les breakeven ont atteint 2,97% à 5 ans et 2,67% à 10 ans, et l’inflation « moyen terme à moyen terme » (le 5y5y swap inflation) se situe désormais à 2.61% (le 28 octobre). Cette hausse des anticipations d’inflation s’est accompagnée d’une réappréciation par les marchés des hausses de taux de la Fed, qui se situent désormais au-dessus de la médiane des projections des membres du FOMC (dots) sur 2022 et 2023. Face à cette réalité, la Fed se doit de réagir. La stabilité des prix devrait redevenir son objectif prioritaire afin de stopper l’hémorragie des anticipations d’inflation dont on connait le côté auto-réalisateur. Nous anticipons donc l’annonce de la fin des achats de titres (tapering) avec effet immédiat, avec un objectif probable de stopper les achats de titres mi-2022. Mais nous attendons aussi, et surtout, une modification de la forward guidance de la Fed. En effet, avec une inflation qui s’installe sur des niveaux élevés, la séquence présentée au marché selon laquelle les hausses de taux ne commenceraient qu’après le tapering ne nous semblent plus adaptée aux circonstances actuelles. Il est important pour la Réserve fédérale de retrouver des marges de manœuvre afin d’assurer sa crédibilité par rapport à son objectif de stabilité des prix et d’ancrer les anticipations d’inflation sur des niveaux cohérents avec cet objectif. Dans ce contexte, le nouveau cadre de politique monétaire d’« average inflation targeting », malheureusement annoncé dans un contexte totalement différent, en août 2020, risque de ne pas résister à la pression des circonstances. C’est sans doute pour la Fed un sujet de préoccupation, et nous attendons des clarifications sur sa fonction de réaction, qui reste à découvrir. La Fed se trouve de facto dans une situation très délicate. Certes, les anticipations d’inflation sont élevées, mais elles ne traduisent pas à ce stade de risque de dérapage incontrôlé des prix, précisément parce que, sur la période récente, le marché a anticipé de plus en plus de hausses de taux. Sous la pression, le risque s’accroit pour la Fed d’une erreur de politique monétaire. Agir trop tôt sur les taux, alors que l’inflation ne s’avérerait finalement que temporaire, mettrait la reprise de l’activité à risque… mais agir trop tard verrait in fine la Fed contrainte de monter ses taux plus que nécessaire. La Fed est sur une ligne de crête. Commentaires de Franck Dixmier, Global CIO Fixed Income d’AllianzGI, en amont de la réunion du FOMC des 2 et 3 novembre 2021 |