Emploi des seniors: osons Par Franck Morel
Le report de l’âge d’ouverture des droits à la retraite conduit à augmenter le nombre de seniors dans l’emploi. L’évolution du taux d’emploi des seniors au cours des vingt dernières années en témoigne avec une progression spectaculaire de près de 20 points. Pour autant, la France est en retrait par rapport à ses voisins européens et ceci particulièrement sur la tranche d’âge au-delà de 60 ans. Nous devons donc nous doter des outils nécessaires pour employer correctement les seniors.
Echec des différents dispositifs
Suite à l’échec des différents dispositifs tentés (contrats de génération rigides, taxe « Delalande » sur les rupture de contrats de travail de seniors qui décourageait l’embauche et favorise les ruptures avant l’âge de la taxe, CDD créé en 2006 seniors méconnu et restant plafonné à 18 mois, pas possible en intérim) mais également au vu des politiques efficaces conduites ailleurs, seul un plan équilibré et ambitieux en faveur de l’emploi des seniors qui ne saurait se résumer au seul recul, nécessaire, de l’âge du départ en retraite permettra d’augmenter encore plus significativement le taux d’emploi des seniors.
Reconversion professionnelle
L’index qui a commencé à produire des résultats en matière d’égalité entre les femmes et les hommes est un outil pertinent alliant souplesse dans le choix d’indicateurs dont la progression dans le temps est observée et obligation de résultats. Mais il faut aussi faciliter les reconversions professionnelles via un déplafonnement du compte personnel de formation des seniors en cas d’abondement de l’entreprise, financé par les reliquats de droits CPF non utilisés par ceux qui partent en retraite.
Gestion des carrières
Il faut favoriser le maintien en emploi en évitant la mise au placard qui concerne aujourd’hui trop de monde, 200 000 actifs étant concernés pour un coût annuel de 10 Mds d’€. Les carrières ne sont pas forcément toujours ascendantes et il faut pouvoir gérer cette situation. Pour ceci un aménagement conventionnel de fin de carrière permettrait d’offrir la possibilité au salarié de réduire son temps de travail ou d’être affecté sur un autre poste, en dérogeant le cas échéant aux classifications, en contrepartie d’une réduction de sa rémunération et du versement d’une indemnité conventionnelle de licenciement. En contrepartie, le salarié aurait une garantie d’emploi pendant un certain nombre d’années et l’indemnité qui lui serait versée pour le garder bénéficierait du même régime fiscal et social qu’une indemnité de licenciement. D’ores et déjà 14% des salariés seraient prêts à de telles évolutions.
Il faut aussi développer et faciliter le prêt de main d’œuvre et le mécénat de compétences, le temps partiel de fin de carrière via un régime d’aménagement du temps de travail souple.
De manière plus structurelle, pour favoriser l’emploi des seniors, je propose de diminuer les taux de cotisations patronales en fonction de l’âge. Notre pays pourrait réfléchir à l’instauration d’une modulation des cotisations patronales en courbe de Gauss afin de favoriser, aux deux extrémités, les salariés dont les taux d’emploi sont les plus faibles. Concrètement, les charges
sur l’emploi des moins de 30 et plus de 55 ans pourraient diminuer de 2,5 points grâce à une hausse de 1 point sur la tranche d’âge centrale. Une mise en œuvre échelonnée dans le temps permettrait aux entreprises de prendre en compte dans la gestion de leur pyramide des âges de manière optimisée cette nouvelle donne et favoriserait l’emploi des jeunes et des seniors.
Il faut aussi supprimer tous les appels d’air à une rupture anticipée du contrat de travail comme des règles d’indemnisation du chômage permettant une indemnisation pendant 3 ans et parfois même 8 ans et aboutissant à nourrir un pic de ruptures à 59 ans soit 3 ans avant l’âge d’ouverture des droits et 8 ans avant l’âge de la retraite à taux plein. Un raccourcissement progressif de ces délais en même temps que l’élévation du taux d’emploi des seniors serait pertinent.
Enfin, l’embauche des seniors pourrait être favorisée grâce à l’instauration d’un contrat senior plus large et plus ambitieux que l’actuel CDD senior, trop méconnu et restrictif. Ce contrat senior pourrait être conclu en CDD ou en contrat de travail temporaire jusqu’à 5 ans renouvelable une fois, contre 18 mois aujourd’hui, ou via un CDI ou un CDI intérimaire, à partir de 55 ans et avec pour seul motif de recours “l’emploi des seniors”. Les règles relatives à la carence ne seraient pas applicables et ce contrat s’accompagnait d’une aide spécifique à l’embauche afin de le rendre encore plus attractif.
Véritable choc de simplification, un tel contrat aurait le mérite de la clarté et de la simplicité. Il permettrait d’offrir davantage de visibilité aux entreprises, profitable à l’employabilité des seniors. L’allongement du contrat permettrait aux entreprises d’être moins rétives à embaucher jusqu’à la fin de carrière, à investir dans la formation des salariés expérimentés et l’ouverture de ce contrat aux contrats de travail temporaire permettrait de bénéficier du savoir-faire des entreprises de travail temporaire en matière d’intermédiation pour l’accès à l’emploi.
[1] Cet article recense des propositions présentées par Franck Morel dans un rapport pour l’institut Montaigne, disponible sur le site internet de l’institut Montaigne depuis le 21 octobre 2022 et intitulé « Emploi des seniors : agir sur tous les leviers. ». Les chiffres cités dans cet article sont sourcés dans ce rapport.