Commentaire Yomoni – Droits de douanes US & Marchés – Le calme après la tempête ? Par Olivier Malteste, Directeur des Investissements

Le 2 avril 2025, Donald Trump a proclamé un « Liberation Day », présenté comme le début d’une nouvelle ère pour l’économie américaine.
Le plan de Donald Trump s’articule autour de deux étapes. Depuis le 5 avril, un tarif de base de 10% s’applique à presque toutes les importations. Puis à partir du 9 avril, des surtaxes différenciées viendront s’ajouter. L’Union européenne sera soumise à un tarif de 20%, le Japon à 24%, et la Chine à un impressionnant 34%, s’ajoutant à des droits préexistants de 20%, portant le total à 54 %. Le Vietnam écope de 46%, Taïwan et la Thaïlande de 36%, le Bangladesh de 37%, et certains territoires comme le Cambodge atteignent 49%. À l’inverse, des pays comme le Royaume-Uni ou Monaco sont taxés à 10 %, soit le minimum prévu.
Cette vague tarifaire épargne toutefois deux pays: le Mexique et le Canada. Les produits échappent aux nouvelles taxes s’ils respectent les règles de l’accord de libre-échange nord-américain, l’USMCA. En revanche, les produits qui ne respectent pas ces critères sont taxés plus lourdement, jusqu’à 25 %. Certaines matières premières, comme l’énergie ou la potasse, bénéficient d’un taux réduit de 10 %. Ce traitement différencié vise à préserver les échanges au sein du continent nord-américain, où les chaînes de production sont étroitement liées.
Donald Trump affirme que ces taxes douanières pourraient rapporter jusqu’à 600 milliards de dollars par an, et permettre de financer des baisses d’impôts. C’est une approche purement comptable, qui suppose que les importations resteront au même niveau malgré la hausse des prix, ce qui est peu probable. En pratique, une partie des importateurs pourrait cesser d’acheter certains biens, ou chercher à les contourner, ce qui réduirait les recettes fiscales attendues. Quant aux relocalisations, elles prendront des années à se mettre en place, et nécessitent des investissements colossaux, sans garantie de succès.
En proclamant le « Liberation Day », Donald Trump cherche à imposer un récit simple : celui d’un retour au patriotisme économique, d’une Amérique qui protège ses usines et ses travailleurs. Mais ce récit ne dit pas tout. Les États-Unis ouvrent la voie à une forme d’isolement commercial, à rebours de la logique de coopération et d’échange qui a prévalu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les conséquences ne se feront pas sentir du jour au lendemain. Mais elles s’installeront progressivement, dans les prix des biens, dans les arbitrages des entreprises, et dans les décisions de politique économique que devront prendre les autres pays en réponse.
Quelle a été la réaction des marchés ?
Comme nous le savons et le répétons souvent, il est prudent de se méfier des réactions immédiates des marchés suivant une annonce ou un événement d’importance sans pour autant les ignorer. Elles offrent en effet un aperçu de l’interprétation « réflexe » des marchés quant aux impacts à moyen terme des récentes annonces de Donald Trump.
Face à des annonces plus dures que prévu, la réaction des marchés a été prompte et significative.
Sur le front des actions, nous avons observé une baisse notable. L’augmentation des droits de douane, en freinant et renchérissant le commerce mondial, pèse incontestablement sur la croissance globale. De plus, le risque d’une escalade tarifaire en réaction augure d’une persistance de l’incertitude à court terme. Ainsi, les actions internationales en euro ont reculé de 5,3 % (3,7 % en devises locales), tandis que les actions américaines ont subi une baisse de 6,5 %. Par contraste, la zone euro et les marchés émergents, bien que directement affectés par ces droits de douane, ont mieux résisté avec des baisses de 2,9 % et 2,5 % respectivement.
Côté taux et devises, nous observons une chute des taux longs et une dépréciation marquée du dollar. Les taux à 10 ans aux États-Unis ont reculé d’environ 0,10 %, passant de 4,125 % à 4,036 %, et ceux en Allemagne de 0,08 %, de 2,72 % à 2,64 %. Ces mouvements traduisent une crainte dominante de ralentissement économique plutôt qu’une simple réaction inflationniste aux droits de douane.
Quant au dollar, son mouvement notable mérite une analyse approfondie. La devise a connu une forte baisse, passant de 1,0845 à 1,1045 contre l’euro en une seule journée. Historiquement, une hausse des droits de douane dans un pays, de par son côté inflationniste, tend à renforcer sa monnaie, atténuant ainsi l’impact des taxes imposées. Toutefois, dans ce cas précis, le dollar s’est déprécié, ce qui peut sembler contre-intuitif. Cela confirme la crainte sur la récession aux Etats-Unis, plutôt que sur l’impact inflationniste.
Cette baisse suggère également que, le dollar étant traditionnellement considéré comme une valeur refuge, les investisseurs n’anticipent pas une récession à l’échelle mondiale. Si une telle récession était perçue comme probable, nous aurions pu observer une appréciation du dollar, les investisseurs se tournant vers des actifs jugés plus sûrs face à une instabilité globale. Les craintes du marché semblent donc actuellement concentrées sur l’économie américaine plutôt que mondiale.
Les mouvements observés sur les actions, les obligations et les devises reflètent une situation où le marché ne voit pas encore de menace de récession à grande échelle, mais reste prudent face aux risques spécifiques aux États-Unis. Après le choc de l’annonce, nous entrons désormais dans une deuxième étape, qui concerne la phase de réactions et de négociations face à cette nouvelle donne imposée par l’administration Trump. Toute l’incertitude réside là.
Ce contexte nous incite donc à ne pas céder à l’affolement, l’économie restant solide et les banques centrales disposant de moyens d’actions, mais à avancer prudemment.
Ce que nous savons, c’est que Donald Trump a clairement affiché trois objectifs concernant les marchés financiers :
- faire baisser les taux d’intérêt longs
- faire baisser le pétrole
- faire baisser la valeur du dollar.
Si les mouvements de marché consécutifs au « Liberation Day » répondaient initialement aux attentes du président américain, il semble désormais que leur effet s’estompe progressivement. Ainsi, nous avons décidé d’entrer avec prudence dans cette deuxième phase, en attendant d’y voir plus clair.
Que surveillons-nous ?
Nos allocations sont stratégiquement surpondérées en actions américaines, mais nous avons progressivement diminué notre exposition aux valeurs technologiques, en substituant une partie de notre exposition aux indices actions américains pondérés par la capitalisation par des indices équipondérés. Cette stratégie diversifie davantage le risque. Pour l’instant, nous maintenons cette position de neutralité, bien que nous n’excluons pas de réajuster notre exposition aux actions au profit des obligations, qui offrent une protection accrue, si les probabilités d’une récession se renforcent. Étant donné les significatives fluctuations dans les discours de Donald Trump et la structure biphasée du plan tarifaire, il est plausible qu’une modération de ton puisse susciter un rebond vigoureux des marchés. Dans ce contexte qui reste et restera volatile, nous sommes extrêmement vigilants et prêts à ajuster nos expositions sans avoir, à ce stade, modifier nos positions.